Le “martyre” de l’espérance
Christian de Chergé, Vigile pascale, 2 et 3 avril 1994
Elles ne manquaient pas de courage, ces femmes, premières levées, se hâtant vers le tombeau.
Etonnant comme autour de ce corps qu’elles vont embaumer, tout paraît commencer : le jour, c’est grand matin ; la semaine, c’est le premier jour ; le soleil, il se lève à peine ; les parfums, ils sortent du magasin ; c’est au premier regard qu’elles voient la pierre roulée ; elles sont encore sur le seuil… Et là, tout bascule. C’est le commencement absolu. Les voici hors d’elles-mêmes, happées dans une expérience qui ressemble fort à celle des disciples lors de la Transfiguration. Le témoin vêtu de blanc a beau leur dire : “N’ayez pas peur !”, puis “Allez dire… !”, elles vont fuir, tremblantes… La peur de ce commencement absolu les a surprises au lieu où tout semblait s’achever…
Il a suffi que ce témoin venu d’ailleurs prenne la place du Crucifié, pour qu’elles entrent à corps perdu, dans cet au-delà de la mort qui va donner à leur foi la dimension de l’espérance : “Le Christ, notre espérance, ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir !”…
Nous avons besoin de cette espérance pascale qui nous dit, comme aux femmes de l’évangile, que, si tout continue, rien ne sera plus comme avant. Dans cette nuit très sainte, redisons le oui de notre baptême à Celui qui nous précède sur la terre comme au ciel ; et rejoignons cette cohorte de témoins que nous déclarons justes et saints parce qu’ils ont su espérer contre toute espérance. C’est de l’intérieur du mutisme et de la peur, comme de l’intérieur du tombeau, que l’espérance peut monter vivante comme un cri, le cri du témoin, du “martyr”, d’âge en âge : “Il est ressuscité, alléluia !”
Extrait de “L’invincible espérance” (p. 238),
Christian de Chergé, prieur de Tibhirine
