Compassion
Christian de Chergé, Samedi saint, 1977
Vous serez toujours un être déchiré, car le glaive est à sa place qui ouvre le fils et transperce la mère.Tant qu’il y aura une douleur à partager dans le monde, compagnon de la nuit et du doute, de la veille et des larmes.
L’aurore se lèvera pour les autres ; pour vous elle sera encore prématurée tant qu’il y aura un enfant plongé dans le coma, et des parents effondrés pour qui le temps s’est arrêté au chevet d’un être déjà absent…
Et si l’on vous demande raison de l’espérance qui vous presse à agir de la sorte, vous prenez l’enfant mort qu’on descend de la croix et vous lui ouvrez le tombeau de vos bras, pour que là, tout contre votre sein, il repose et s’éveille et revive en vos entrailles. Car elle est devant vous, cette heure de tristesse où il va falloir l’enfanter de nouveau.
Vous y avez consenti, mère des douleurs, qui n’en finissez pas de mettre au monde du Père ce grand corps de souffrance du Fils premier-né.
Vous y avez consenti, et c’est là votre joie qui déjà tressaille au dedans de vous-même et libère sur le monde votre “Magnificat” même à l’heure des ténèbres, quand il vous faut goûter encore l’ingratitude et la haine et la solitude par où devront passer ceux qui vous sont confiés pour que tout soit consommé de ce premier “Fiat”, la seule parole mère, celle qui demeure quand passe la terre. (…)
Il vous faut porter encore de Nazareth au Golgotha toutes les générations, jusqu’au Jour d’éternelle nativité où elles se lèveront, et pas une ne manquera, pour vous proclamer Bienheureuse !
Extrait de “L’invincible espérance” (p. 41),
Christian de Chergé, prieur de Tibhirine
