Le “martyre” de l’innocence
Christian de Chergé, Vendredi saint, 1er avril 1994
Au calvaire, c’est un malfaiteur qui m’ouvre les yeux : “Lui, il n’a rien fait de mal ! Pour nous c’est justice…”
Et pourtant, Jésus ne s’est jamais proclamé innocent. Il ne s’est pas lavé les mains.
Saint Paul dit même : “Il s’est fait péché pour nous !”
Il a seulement posé la question : “Qui de vous me convaincra de péché ?”
L’innocence n’accuse pas.
Et puis, lorsque tout fut consommé sur lui de notre injustice et de notre lâcheté, il a plaidé “non coupables” pour nous : “Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font !” L’innocence qui excuse tout ?
C’est alors que le ciel se déchire : l’innocence de l’homme et celle de Dieu peuvent éclater conjointement. “C’est dans cette innocence, c’est dans cette enfance éternelle que gît le mystère de Dieu qui se révèle en Jésus-Christ. Et ce Dieu-là, ce Dieu qui est libre de lui-même, ce Dieu qui ne se regarde jamais, ce Dieu qui ne se complaît pas en soi, ce Dieu qui n’existe qu’en se donnant (ce Dieu qui est donc tout à l’opposé de ce que le péché m’a fait), ce Dieu de quel monde peut-il être le Créateur, sinon d’un monde libre, libre jusque dans les dernières fibres de son Existence” (M. Zundel).
Au pied de la croix, cette innocence est là, en attente d’elle-même. Elle a nom et visage : Marie, la nouvelle Eve. Elle est prête à nous enfanter à neuf, tous : “Voici ta mère !”, “demeure de ma splendeur”, “pleine de grâce”.
Extrait de “L’invincible espérance” (p. 235),
Christian de Chergé, prieur de Tibhirine