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L'Eglise catholique tente de conjurer le succès d'Halloween [ article tiré du quotidien Le Monde du 2 novembre 2002

En quelques années, la vieille fête païenne américanisée s'est imposée dans une France déchristianisée. En réaction, l'Eglise se mobilise pour rappeler le sens des fêtes de la Toussaint. Et critique l'image caricaturale de la mort véhiculée par ce nouveau

halloween halloween   Entre les saints et les sorcières, la guerre est déclarée. Holy wins (le saint gagne) contre Halloween. Dérision contre dérision. Des jeunes catholiques devaient distribuer dans les rues de Paris, vendredi 1er, jour de la Toussaint, et samedi 2 novembre, jour des morts, un numéro spécial de Paris Notre-Dame,journal du diocèse, avec en titre les mots Holy winset en illustration une croix transperçant une citrouille ! Jeudi 31 octobre, place Saint-Sulpice à Paris, après une veillée de prières dans l'église, ils étaient quelques centaines autour de groupes de rock et de reggae pour "fêter les saints". Une trouvaille de jeunes croyants, "las de l'occultation ludique et commerciale des deux grandes fêtes chrétiennes", explique Paul de Sinety, rédacteur en chef de Paris Notre-Dame. Ils viennent du Service initiatives jeunesse (Mission étudiante, communauté charismatique de l'Emmanuel, etc.) et assurent en riant : "Nous ne faisons pas de chasse aux sorcières !"
"Réinvestir" la Toussaint, plutôt que "diaboliser" Halloween. Avec leurs masques de citrouille ou de squelette, les enfants d'Halloween proposent aux adultes :"Treat or trick ?" (un bonbon ou un sort ?). L'Eglise répond : humour et pédagogie. Un pâtissier, près de l'église Saint-Philippe-du-Roule à Paris, a décoré son magasin d'images saintes. Le diocèse de Dax (Landes) a ouvert un site Internet proposant aux enfants une "alternative" ludique au rituel macabre d'Halloween, pour rappeler le sens "joyeux" de la fête des saints. "Rien ne semble devoir arrêter l'inondation d'Halloween, explique le Père Thierry Duclercq, initiateur du site. On peut râler, tempêter, maugréer, condamner. On peut aussi éveiller les enfants à la fête religieuse." Même réaction au Centre national d'enseignement religieux, qui propose un matériel pédagogique sur la Toussaint pour les enfants du catéchisme.
"RÉÉVANGÉLISER"
Curieux destin que celui d'Halloween, fête païenne en pays celte - une manière d'exorciser la peur de la mort avant l'hiver -, récupérée par les chrétiens anglo-saxons. Aujourd'hui, l'Eglise veut "réévangéliser" cette fête. "Plutôt que de crier au voleur, nous ferions mieux de remplir l'événement et de lui donner un sens", suggérait un groupe d'intellectuels catholiques dans Le Monde du 22 octobre.
Message reçu, mais l'épiscopat ne cède rien. Il ne sonne plus le tocsin, mais refuse l'amalgame. "Faut-il accepter que les enfants d'aujourd'hui ne puissent penser aux défunts qu'en projetant sur eux des images dérisoires et grimaçantes ?", interroge Mgr Clément Guillon, évêque de Quimper. Avant d'opposer "la troupe gesticulante qui déambule en habits macabres" aux "visages à découvert, pacifiés et pacifiants, des saints". De son côté, le Père Stanislas Lalanne, secrétaire général de la Conférence des évêques, dédramatise : "Le succès d'Halloween ne s'explique pas seulement par l'orchestration commerciale et médiatique. C'est une manière de conjurer la mort. Nous croyants, nous devons donc remettre en valeur la fête de la Toussaint, qui précède et éclaire la fête des morts et veut dire que la mort n'a pas le dernier mot."
Pour des motivations plus politiques, une association d'extrême droite a aussi lancé un collectif "Non à Halloween", qualifiée dans une brochure de "fête américanoïde", avec l'espoir de concilier la sensibilité catholique traditionaliste et la "nouvelle droite" que le succès en France de la vieille fête païenne devrait pourtant réjouir.
Le débat avait été lancé il y a trois ans par un livre, Vers une France païenne (Editions Cana), écrit par Mgr Hippolyte Simon, évêque de Clermont-Ferrand : "Ces rites ne sont pas bien méchants, écrivait-il à propos d'Halloween. Mais il faut se demander ce qu'ils pourront produire s'il arrive que l'imaginaire des futures générations n'est plus structuré que par ces seules références, dans l'oubli de la signification chrétienne de la Toussaint."En exploitant la terreur du squelette, cette fête macabre inverserait des signes comme le sens de la mort et de la vie. Or les enquêtes d'opinion ("Valeurs en Europe", Futuribles, juillet-août 2002) montrent une hausse des croyances en l'Enfer, au Paradis, à la réincarnation. En France, en 1999, 44 % des jeunes de 18 à 24 ans disaient croire qu'il y a "une vie après la mort ". Pour Yves Lambert, chercheur au CNRS, "on a tellement survalorisé la réussite sur Terre que l'individu accepte de plus en plus mal que tout s'arrête avec la mort."
"TERREUR DES MORTS"
L'autre source d'inquiétude - partagée par Régis Debray dans son rapport sur l'étude du "fait religieux" à l'école - vient de la perte de la mémoire et des repères chrétiens. La traditionnelle visite aux défunts du 2 novembre est une réminiscence de ces siècles où les cimetières étaient aménagés autour des églises pour montrer que le chrétien, croyant en la résurrection, ne craint pas la mort. Halloween a aussi réinvesti ce rite. Ce qui en dit long, souligne Tony Anatrella, psychiatre et prêtre, sur l'état d'une société qui, "à force d'évacuer la mort, fait renaître chez les vivants la terreur des morts". Autrement dit, la France déchristianisée laisserait le champ libre à des rites préchrétiens et à des peurs ancestrales, dont Halloween serait le témoin, certes modeste mais typique d'un "néo-paganisme" rampant.

Auteur de l'article: Henri Tincq (journaliste pour le quotidien Le Monde - spécialiste des questions religieuses)

Publié le Dimanche 03 novembre 2002 - 19h15 • 4107 visites

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