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"Marie et la brebis égarée" Homélie de Mgr Defois

Cette année c'est Mgr Defois, évêque de Lille qui a assuré la prédication de la messe du matin

Mgr Defois (Homélie) Mgr Defois (Homélie)  

Chers amis,

mes frères et sœurs dans le Christ,

 

 

Vous voyant réunis ce matin sur cette place, je ne peux m'empêcher de penser à votre ville au matin du 8 septembre 1008, il y aura bientôt mille ans. Toute une cité blessée par les milliers de victimes de la peste. Un peuple angoissé par la mort et la désespérance, se demandant combien de temps il lui restait à vivre, avant que la maladie vienne détruire des vies qui ne demandaient qu'à grandir et à "faire vivre". Une population désespérée dont les édiles eux-mêmes, ne savaient plus à quel saint se vouer. Dans une société où les progrès de la médecine étaient encore lents, tous tremblaient dans un sentiment d'impuissance devant la force du mal. Et vous savez mieux que moi comment Marie fit signe à ce peuple en prière et désigna par un cordon rouge un espace de protection pour que les habitants de Valenciennes soient "délivrés du mal".

Ce qui relève aussi du miracle, c'est la fidélité de vos ancêtres et de vous-mêmes à rendre grâce pour cette délivrance. Votre présence ce matin prouve que la mémoire d'une telle préservation des puissances de mort est toujours vive chez vous depuis mille ans; elle vous réunit dans une même reconnaissance, vous, les enfants de Valenciennes, pour dire votre attachement à Notre Dame. Rassemblés par un tel souvenir, vous exprimez dans la fête et la prière les sentiments d'unité et de fidélité qui ont rendu le goût de vivre à votre cité. Auprès de Marie aucun mal n'a le dernier mot; la santé retrouvée, c'est, pour la cité, une nouvelle page d'histoire à écrire et à vivre; tel est le sens de notre célébration.

Dans le livre de l'Exode, dont on vient de lire un passage dramatique, Moïse prie Dieu d'épargner son peuple du mal qu'il a mérité, pense-t-il. Car les Hébreux, retournant à leurs esclavages plutôt que de courir le risque d'être libres mais pauvres au désert, avaient réinventé les idoles, celles qui assuraient l'abondance des biens et la prospérité des récoltes en Égypte. Prévoyant les conséquences tragiques d'une telle infidélité, prêtant à Dieu des sentiments de vengeance, Moïse en appelle à la promesse de Dieu faite à Abraham, à Sa fidélité première, pour qu'il ne frappe pas ce peuple, qu'il ne se laisse pas aller au châtiment, à la répression, malgré cette erreur collective. Difficile pour les gens d'alors de comprendre que le mal n'est pas une punition d'En-Haut! Et, dit la Bible :"Le Seigneur renonça au mal".

Tout différent est le message de l'Évangile, il nous montre la passion du berger pour son troupeau, son angoisse quand l'une des brebis s'est égarée; alors, le pasteur part à sa recherche à travers les ronces et les rochers escarpés pour la ramener au bercail. Avec prévenance et amour, il la porte sur ses épaules comme un blessé qui ne peut se soutenir et retrouver le bon chemin, et encore moins affronter les fatigues du retour. Le visage du Père qui attend le retour de l'enfant prodigue, l'autre forme de brebis égarée est le signe même de la bonté de Dieu. Comme le dit Jésus dans l'Évangile : "Je ne suis pas venu condamner, mais sauver". Et c'est la joie commune des retrouvailles.

Ceci pour dire que le geste de Marie, protégeant votre ville de la peste par le Saint Cordon, n'est pas un simple souvenir historique nous invitant à rendre grâces pour le passé. C'est le rappel d'une vérité essentielle de la foi chrétienne : Dieu ne saurait prendre son parti du mal de l'homme, de son égarement, de son exclusion, de son écrasement, fût-ce le fruit de ses fautes. Il y a en Dieu, comme en Notre-Dame de Grâce, son interprète, une volonté de rassembler, de remettre debout, d'accueillir et de faire repartir. Elle ne fait qu'un avec son intention de Créateur, son amour de Père de toute humanité. De cette passion de Dieu pour le salut de l'homme, Marie s'est fait l'image dans la foi de vos pères, et c'est ce que nous célébrons ce matin, la grâce du pardon, de la rencontre, d'un nouveau départ. Notre-Dame de Grâce est la mère de l'espérance en l'homme, quel qu'il soit, et quelles que soient ses errances et ses tentations.

Comment alors ne pas comprendre que ce que nous célébrons ici, n'est pas une croyance d'hier, mais un programme pour aujourd'hui? Dans un temps où, chaque jour, l'on évoque les dérives inhumaines d'une agressivité collective, ou même individuelle dans des familles brisées par des violences, il est important de redire ce message évangélique du pardon, du souci de remettre l'autre en route droite, de la joie de le retrouver en son humanité. C'est au cœur de l'amour chrétien.

Avec Dieu et Marie nous ne pouvons prendre notre parti des égarements et des folies meurtrières de notre temps . La foi ne peut être la résignation devant les atteintes à la dignité et à la dégradation physique ou morale de l'homme, il ne saurait être question de vengeance et de répression comme moyen de se protéger du mal. Bien au contraire, la miséricorde est une vertu de citoyenneté, quand, au lieu d'exclure, nous partons à la recherche de celui qui s'est perdu par erreur, quand la volonté de vivre-ensemble en partageant nos différences est la promesse d'une convivialité fraternelle. Vaincre le mal, ce n'est pas écraser ou condamner celui qui en est atteint, c'est oser espérer en lui, l'accueillir dans la vie commune, lui ouvrir la porte de la "bergerie" commune. Qu'il s'agisse d'une famille, d'une cité, d'une Église.

Toute responsabilité, civile, familiale, religieuse est un service, un ministère de rassemblement. La paix est le fruit de semailles de justice et de pardon, sinon elle n'est qu'un armistice provisoire dans les rapports de force. Et il est heureux que le "Saint Cordon" ait cette triple dimension civile, festive et spirituelle, notre procession est l'expression de la joie commune de nos "retrouvailles". Elle est riche d'une volonté de réconciliation dont l'évangile d'aujourd'hui réveille en nous la mémoire et la fidélité. Que l'image de Marie sauvant votre ville de la peste, le rappel de mille ans de culture de miséricorde qui sont votre tradition, soient pour nous tous l'occasion d'un retour à la fraternité et à l'espérance. Dans votre ville, dans vos familles, dans votre Église. AMEN.

+ Gérard DEFOIS

 

 

Article publié par communication Service • Publié le Lundi 13 septembre 2004 - 13h39 • 5527 visites

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