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'' J'ai vendu la table... pour faire le cercueil de mon mari...''

édito du 22 septembre 2004

"J'ai vendu la table…

pour faire le cercueil de mon mari…"

Congo Kinshasa – Juillet 2004.

 

 

      Kinshasa – Juillet 2004.

      La délégation française va participer à la 8ème assemblée plénière de l'ACEAC (Association des Conférences Épiscopales de l'Afrique Centrale). Tous les évêques du Congo Démocratique, du Rwanda et du Burundi sont là. Ce qui n'est pas rien, lorsqu'on sait la rage des conflits qui ont tué et tuent encore du côté de leurs frontières mutuelles. Depuis dix ans, entre quatre et cinq millions de morts sous les coups de machettes, ou d'armes automatiques, ou tout simplement à cause de la faim, du sida, de la malaria ou du paludisme.

      Je garderai la mémoire vive d'évêques courageux. Ils dénoncent, non sans risques pour eux-mêmes ou leurs familles, les ventes d'armes, les corruptions, les atteintes à la dignité humaine (les enfants soldats, les femmes violées…), les atteintes aux processus démocratiques qui devraient aboutir à des élections dans les mois qui viennent. Ils savent bien la cause majeure de tout ce gâchis : les énormes richesses du sous-sol du Congo – or, diamants, coltan, etc.) et tous les prédateurs locaux ou lointains qu'elles attirent et qui en profitent. En plus, ils doivent compter avec les sectes, soi-disant chrétiennes, qui se multiplient en vendant promesses de miracles et de guérisons…

      Nous avons eu la chance de plonger pour de vrai dans la ville de Kinshasa. Huit millions d'habitants. Des bidonvilles plus ou moins organisés pour le plus grand nombre. Une mégapole de misère, de troc et de "débrouille". Mais un peu partout, des hommes et des femmes de lumière :

 

       là, ils accueillent les "enfants de la rue et les enfants sorciers" abandonnés parce que déclarés responsables des malheurs de leurs familles… Ils seraient plus de 25000. Un jeune prêtre polonais nous conduit dans le foyer des filles, un "foyer fermé", on devine pourquoi. Celui des garçons est ouvert ; ils peuvent aller gagner trois sous en rendant quelques services sur les marchés. Mais au foyer, ils trouvent au moins de quoi manger, se laver, dormir, apprendre à lire et écrire. Pour financer les foyers, avec le CCFD et le SOS, on a monté une boulangerie : le pain vendu par des femmes leur rapportera 25% du prix de la vente. Le reste financera l'entreprise et les foyers d'enfants.

       et là, nous rencontrons 17 des mille "CEVB" ("Communautés Ecclésiales Vivantes de Base") de la ville. Sans la présence habituelle du prêtre – il n'y a que deux Fils de la Charité dans l'énorme paroisse –, on se rencontre, on est dix, quinze, vingt, on lit la Parole de Dieu parce qu'elle parle de notre vie, parce qu'elle parle à notre vie, et puis on fait face ensemble aux défis de la vie de tous les jours : la scolarisation des enfants (les maîtres renvoient ceux dont les parents ne peuvent pas payer), la santé (l'hôpital ne "relâche" que ceux qui ont tout payé), les transports (il faut faire face au racket qu'organisent les chauffeurs de taxis), le mariage (comment payer la "dot"), la mort (elle aussi coûte cher…). Je n'oublierai jamais ce que j'entends alors :

"Les médicaments sont trop chers. Nous n'avons que les plantes naturelles pour guérir, mais nous ne savons plus les doses…". "Chaque livre scolaire est précieux : il va servir longtemps…". On se cotise pour permettre un mariage". "J'offre ma ristourne de fonctionnaire". "J'ai vendu la radio et des meubles pour que mes enfants aillent à l'école". "J'ai vendu la seule table de la maison pour faire le cercueil de mon mari"…

 

      On m'offre un buste de Marie, taillé dans un très beau bois : cette vierge a un nom, un nom que j'entends pour la première fois : "Notre-Dame du Désarmement…"

 

      Difficile d'oublier. On ne revient pas indemne de telles rencontres. Comment susciter toujours plus de solidarité ? Comment réveiller la confiance des baptisés au moins dans leurs organismes de solidarité (Coopération Missionnaires, Œuvres Pontificales Missionnaires, Secours Catholique, CCFD…) ? Et puis aussi, comment multiplier, au raz du sol de nos paroisses, des équipes de baptisés qui, le plus souvent sans prêtres, se retrouveront une fois par mois pour prier, lire l'Évangile du dimanche suivant, et voir ensemble très concrètement qui est à visiter, à écouter, à servir, à aimer… ?

 

@ François GARNIER

Archevêque de Cambrai

Article publié par Secrétariat DIOCESAIN • Publié le Mercredi 22 septembre 2004 - 11h22 • 4050 visites

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